Militant activiste pour la cause animale
Président de l'association Animaux en péril
www.animauxenperil.be
Sept milliards d’autres… coupables
Il est des questions qu’on n’évoque jamais - ou infiniment peu - quand on parle d’écologie et de protection des animaux. Des questions qu’on ne pose pas car elles sont à la racine de tous les problèmes, car elles constituent des erreurs de fond auxquelles personne ne veut s’attaquer, car elles remettent en question le droit de l’homme à exister en si grand nombre au sein de la fragile toile du vivant.
La Terre porte désormais plus de sept milliards d’individus vivant dans des contextes radicalement différents, souffrant souvent du manque et plus rarement de l’excès. Tous ou presque ont en commun l’utilisation abusive de leur environnement. Tous ou presque pratiquent à un certain degré la gestion des ressources naturelles, mais sont singulièrement aveugles à la nécessité de se gérer eux-mêmes en tant qu’espèce parmi d’autres formes de vie terriennes.
Au niveau de la protection animale, les conséquences sont multiples. D’abord pour les créatures sauvages menacées par la chasse, la capture, la destruction pure et simple, et par le morcellement d’habitats qui s’appauvrissent d’années en années. Et ensuite, pour ceux que nous reproduisons sans modération ni sagesse, ces espèces dites de consommation, devenues une immense caste d’intouchables qui multiplie l’empreinte écologique des humains sur Terre.
La prolifération d’une espèce au détriment des autres dans un milieu donné est un déséquilibre. Quand cette disproportion se propage à l’échelle planétaire, elle devient une catastrophe. L’homme envahit le monde, et entraîne dans son sillage les espèces satellites que sont les animaux d’élevage. Ensemble, ils forment une multitude qui consomme et fige une part toujours plus grande de la matière organique, vivante, disponible en quantité finie sur notre globe. Ce tribut est prélevé au détriment des milieux naturels, de leur stabilité et de leurs interactions.
Les espèces satellites, elles, sont désormais un problème à part entière, en premier par leur surnombre, qui répond à celui de l’homme. Chaque année dans le monde, plus de 60 milliards d’animaux sont tués pour notre consommation, sans compter la faune marine. Plus de la moitié vit sa misérable existence dans des élevages concentrationnaires intensifs. Le coût en termes écologiques est effarant, que ce soit à cause de la pollution, ou de la déforestation visant à garantir davantage de surfaces de pâtures ou de fourrage.
Mais bien avant d’être les auteurs involontaires de fléaux écologiques, les animaux pris dans l’engrenage sont avant tout des martyrs, de leur premier à leur dernier jour. Le génocide se déroule à l’écart du monde afin de ne pas choquer le consommateur, ce complice qui ne veut pas savoir. Il dissimule ainsi sa vérité fondamentale : l’horreur et la violence ne sont pas l’exception, mais la règle. Elles sont le dommage collatéral du meilleur rendement à moindre coût, au coeur de la production forcée. L’élevage industriel est un holocauste aggravé par la torture systématique de ses matières premières.
Récapituler les maltraitances commises par cette industrie remplit des livres, et la liste qui suit n’est donc pas exhaustive. Citons : les amputations infligées aux animaux afin qu’ils ne s’entre-tuent pas au sein d’élevages surpeuplés (tranchage du bec chez les poules, ablation de la queue et arrachage des dents chez les cochons - le tout sans anesthésie) ; les mutilations garantissant une marchandise attractive (porcelets castrés à vif pour préserver la saveur de leur viande) ; les privations entraînant des carences (veaux anémiés pour une viande plus blanche) ; la surconsommation d’antibiotiques ; l’écrasement dans des contenants minuscules (poules empilées dans des cages minuscules, poulets entassés jusqu’à 40 000 individus par hangar, truies enserrées dans des gangues métalliques, veaux immobilisés pour qu’aucun développement musculaire ne gâche la tendresse de la chair).
Mais aussi l’extermination (broyage ou gazage des poussins mâles inutiles à l’industrie de la ponte) ; les déformations et pathologies (fractures dues à l’immobilité et au mauvais développement osseux et musculaire, ulcères, malformations, infections, plaies, maladies de peau, organes défaillants) ; l’inconfort létal (atmosphères confinées et suffocantes, manque d’espace vital, biorythmes compromis par l’éclairage ou la pénombre permanents, pulsions comportementales contrariées) ; la sélection génétique (provoquant l’hypertrophie des corps ou le développement d’un caractère spécifique au détriment de l’organisme) ; la terreur ; la douleur ; le stress, d’une telle intensité qu’il mène parfois à la mort ; et enfin la violence directe exercée par les éleveurs, qu’il s’agisse de coups, de manipulations brusques ou de pratiques telles que le gavage.
Pire encore : vu notre nombre sur Terre, ces méthodes sont inévitables si nous continuons à dévorer de la viande à ce rythme. Il n’y a tout simplement pas de bonne réponse à une demande aussi frénétique, et pas moyen de produire bio pour une population en augmentation rapide qui réclame toujours plus de bidoche à bas prix. Ceux qui pensent appartenir à une élite conscientisée pratiquant une « juste » consommation de viande respectueuse des animaux viennent d’ailleurs de découvrir avec stupeur les images d’abattoirs filmées en caméra cachée par l’association française L214, qui révèlent des brutalités aussi extrêmes que dans les filières traditionnelles.
Vu les profits en jeu, il est vain d’attendre des décisions politiques salutaires, visant à supprimer la viande ou au moins à la limiter drastiquement. Chacun de nous, en tant que consommateur, a donc le devoir de prendre les rênes, de s’émanciper et d’évoluer afin que la discipline personnelle accomplisse ce que les règles du marché ne permettent plus d’obtenir : le passage vers une alimentation non destructrice pour l’environnement et les bêtes. Renoncez à l’idée (infantile et humiliante) que vous avez le droit de ne rien vous refuser. Soyez végétalien, soyez végétarien, ou freinez votre consommation de viande si vous ne pouvez l’arrêter. Votre corps, à l’image de votre planète, n’est pas fait pour une telle débauche de chair.
Manger moins, se reproduire moins, exiger moins, minimiser l’importance des appétits et des désirs humains, sont des étapes indispensables pour désamorcer le carnage planétaire. Mais les discours de modération et de mesure n’ont pas le vent en poupe: alors que l’homéostasie maintient les écosystèmes naturels et leur équilibre, l’homme dans sa démesure croit pouvoir échapper aux règles et donner libre cours à toutes ses pulsions.
Les erreurs commises dans les fondements de nos sociétés se répercutent aux niveaux supérieurs. Une humanité au développement incontrôlé, capable de sacrifier par gloutonnerie des milliards d’êtres tous les ans, est une humanité agressive, égoïste, indifférente à son prochain, malhonnête, insécurisée et, ultimement, ingérable. Si nous ne travaillons pas sur les causes profondes, nous resterons au quotidien nos propres bourreaux et ceux des autres espèces. Notre monde sera de plus en plus désordonné, incohérent et odieux.
La violence n’est jamais isolée. En massacrant les animaux et le vivant, nous avons mis en place les termes de notre autodestruction. Dommage que nous entraînions vers nos ténèbres ces milliards d’Autres, broyés sans espérance dans l’immense entonnoir sous lequel est assis, la bouche ouverte, le consommateur moderne.
Jean-Marc Montegnies